Les Lettres Modernes

Biographie de Rabelais

Par admin castella, publié le lundi 20 juin 2011 13:31 - Mis à jour le lundi 20 juin 2011 13:31

François Rabelais (1483-1553)

Un esprit curieux et dérangeant


François Rabelais ne ressemble pas du tout à l'image qu'on peut avoir de lui à travers l'adjectif "rabelaisien" qui évoque: grossier, buveur, gros mangeur, avide d'histoires grivoises voire scatologiques. Rabelais est un des plus grands écrivains que le monde ait connu.
 
Né en 1483 à Chinon (probablement), il est vite gagné par la passion de l'étude. Mais issu d'une famille désargentée, il entre en 1510 en tant que novice au couvent franciscain de la Baumette à Angers. Peu en harmonie avec les règles de cet ordre, il est autorisé à rejoindre les cordeliers, mais ces derniers, inquiets de le voir traduire des manuscrits grecs et de correspondre avec le grand helléniste de son temps, Guillaume Budé, l'envoient chez les bénédictins. Il se rend à Paris pour apprendre la médecine, et devenu moine séculier, il fait deux enfants à une veuve, qu'il oubliera bien vite.
Diplômé de la faculté de Montpellier en 1532, il se rend à Lyon pour exercer son métier à l'Hôtel-Dieu. Il se lie d'amitié avec le cardinal Jean Du Bellay qui deviendra son protecteur (des quatre frères Du Bellay, aucun ne restera à la postérité, seul un neveu, Joachim, fondera avec six autres poètes le célèbre groupe de la Pléiade). Il est ainsi l'homme de compagnie, savant, distingué, raffiné et intelligent qui sait instruire les grands en les divertissant.
 
Rabelais est aussi un homme qui aime le peuple et qui veut soigner ses souffrances car il n'hésite à montrer son humanité. Il fréquente donc les malheureux, les exclus et écrit des almanachs, œuvres populaires qui reprennent les dictons, les histoires appartenant à la tradition orale. Il exerce la médecine avec succès. Il est féru d'anatomie et comme beaucoup de scientifiques à l'époque, il pratique ses expériences sur des cadavres de pendus, au risque d'être accusé de sorcellerie.
Il suit Jean Du Bellay à Rome et, passionné aussi de botanique, il rapporte des graines étranges: la France découvre le melon, l'artichaut, les œillets et la salade dite "romaine".
 
Rabelais a une faiblesse pour la sœur de François Ier, Marguerite de Navarre, auteur célèbre de l'Heptaméron, et de poésies. Cette femme intelligente (elle inspire, dit-on, sa politique à son frère) et délicate lui rappelle la dame à la Licorne des tapisseries, et sa fraîcheur lui fait oublier un moment les horreurs de son temps. En effet, vers 1520, la France est agitée par les intrigues religieuses entre Charles Quint le très catholique, Henri VIII le protestant et François Ier, le protecteur des humanistes et des artistes. Au Vatican les papes se succèdent sans cohésion, voire parfois sans religion. C'est une époque sombre où la misère règne, la maladie frappe, notamment la petite vérole, le mal français. C'est le début de la Réforme menée par Luther en Allemagne, reprise par Calvin de façon plus austère dès 1534 en France. Période de mutation, de transition douloureuse

La naissance d’un immense écrivain


En 1532, Rabelais reprend le personnage de Gargantua hérité de la tradition populaire et lui invente un fils, Pantagruel. De là il publie sous le nom d'Alcofibras Nasier  (une anagramme de son nom) les Horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel, roi des Dipsodes, fils du grand géant Gargantua. En 1534, il raconte les exploits du père, Gargantua.
 
Derrière Gargantua, il faut voir François Ier et, sous les traits de Picrochole, l'irascible guerrier, deviner Charles Quint. Les combats entre le géant et le ridicule va-t'en-guerre (étymologiquement, Pichrocole signifie "bile amère") caricaturent le conflit existant entre les deux grandes puissances. Les deux œuvres plaisent à François Ier car elles lui permettent de mettre en Europe les rieurs de son côté, et, en ces temps où l'Inquisition est meurtrière, se moquer de son ennemi est une arme politique.

Ce n'est qu'en 1542 que Rabelais remet Pantagruel et Gargantua dans l'ordre et signe de son nom. En 1543 les deux œuvres sont censurées, jugées scandaleuses. Les théologiens et autres professeurs de la Sorbonne n’apprécient pas la satire et le style de Rabelais. On reproche à Rabelais son style grossier, (l'utilisation du français langue populaire au lieu du latin est jugée déplacée), son vocabulaire outrancier, ses obsessions du corps et de toutes ses fonctions plus ou moins basses. C'est oublier que Rabelais est médecin, qu'il cherche à concilier corps et esprit, à réhabiliter ce qui fait que l'on est homme : sexualité, goût pour la nourriture et les boissons, plaisir de partager avec d’autres, festivités, amitiés, tout doit être pratiqué, sans fausse pudeur. Le géant Pantagruel est en réalité un homme nouveau, assoiffé de tout connaître, figure de l’humanisme.

Derrière les outrances du texte,  le lecteur perçoit l'écœurement de l'humaniste qui voit tous les jours la tyrannie (qu'il est lui-même obligé de fuir), les excès de violence pratiqués au nom de Dieu, le luxe et la luxure pratiqués au Vatican par les Papes successifs (qui vivent en concubinage et font des bâtards), l’oubli des préceptes fondamentaux de la Bible. Rabelais dénonce cette Eglise qui s'est perdue, gâtée et il veut la réformer de l'intérieur, à sa façon, sans fonder à son tour une nouvelle Eglise (ce qu'il reprochera à Calvin, à Henri VIII, par exemple). Il veut faire rire, rire pour dénoncer, rire pour corriger, rire aussi pour ne pas pleurer.

Les déceptions de la politique 

 
En 1546, Rabelais obtient un privilège royal pour éditer le Tiers Livre (suite des aventures de Pantagruel, Panurge et des autres compagnons). Le nombre d'ennemis augmente et l'écrivain est réduit à solliciter protection chez les puissants qui aiment sa verve. De château en château, de ville en ville, Rabelais parcourt la France, craignant toujours les persécutions. 
 
Après la mort de François Ier, son fils Henri II, nouveau roi, cherche à s'attirer la bonne plume de l'écrivain, et à travers lui, les rieurs. Jean Du Bellay et d'autres amis incitent Rabelais à poursuivre son œuvre. Celui-ci se laisse convaincre et rédige le Quart Livre, en 1552, qui plaît  beaucoup au jeune roi. Mais les temps commencent à changer. Diane de Poitiers, les Guise et le clan des catholiques, Ronsard en tête, ont pris de l'importance et les attaques contre la papauté ne sont plus aussi bien vue. Le roi Henri II et le Pape se réconcilient. Rabelais est alors "lâché" par ses protecteurs, le cardinal Jean Du Bellay en premier , pour sauvegarder sa place à Rome. Le Quart Livre est censuré par les théologiens, le pouvoir royal ne le soutient plus.
 
Rabelais se retire alors à Paris, où il vit dans une misérable masure, ressassant ses souvenirs, ses amitiés d'un autre temps. La mort viendra le chercher rapidement et il sera enterré le 9 avril 1553 à l'église Saint-Paul.